Entretien croisé Lorena Nolwen Lekeufack Kamaha X Lisa Hazan

Il est des adolescents qui remplissent des carnets ou des ordinateurs de poèmes, qui retranscrivent ce qu’ils voient ou ce qu’ils ressentent. Pour certains, c’est un jardin secret ; pour d’autres, c’est le début d’un labyrinthe vers le dévoilement au monde, la publication officielle.

Voici le parcours de deux jeunes femmes qui ont pour point commun une passion vitale, vécue depuis l’enfance : l’écriture. Toutes deux en études de journalisme, elles s’interrogent sur ce qui les entoure, sur leur jeunesse, sur leurs cultures. À quelques années d’écart leur est venue l’idée d’envoyer une nouvelle au Prix du Jeune Écrivain. Bingo, les voilà lauréates.

Lorena Nolwen Lekeufack Kamaha

L’une, Lorena Nolwen Lekeufack Kamaha est lauréate du Prix du Jeune Écrivain Francophone 2025 pour sa nouvelle « Prémonition », et est élue Miss Littérature Cameroun cette même année. Il s’agit de notre rédactrice en chef adjointe pour ce premier numéro de L’Impertinent !

L’autre, Lisa Hazan est lauréate du Prix du Jeune Écrivain Francophone 2021 pour sa nouvelle « Autobiographie ». En août 2024, elle publie son premier roman aux Éditions des Équateurs, Shabbat noir.

Liza Hazan

Rencontrons-les !

Vous vous êtes rencontrées lors de la dernière édition du Prix du Jeune Écrivain, qu’y présentiez-vous ?

Lorena : Je suis venue présenter ma nouvelle intitulée « Prémonition » pour laquelle j’ai été lauréate.

Lisa : J’y étais en tant qu’écrivaine et ancienne lauréate. J’avais fait partie des 12 lauréats du prix il y a quatre ans. Cette année, pour célébrer les 40 ans du prix, l’organisation a invité plusieurs anciens lauréats qui ont depuis écrit et publié des livres. Je suis venue en tant qu’écrivaine par rapport à ma publication Shabbat noir. On n’a peu échangé, mais j’ai tout de même réussi à avoir une dédicace de toi Lorena (rires) !

D’où vous est venue l’envie d’écrire ?

Lorena : Tout me conduit à l’écriture. J’aime beaucoup lire, et cela allait de soi de vouloir produire quelque chose que j’appréciais moi-même. Dans l’écriture, il y a l’envie de m’évader et de sortir de mon quotidien assez répétitif. Les livres, le cinéma, la musique, les arts en général, tout ça donne envie de produire quelque chose soi-même en tant qu’être humain. Depuis mes sept ans, j’écris des histoires, au brouillon puis sur mon ordinateur, ou sur mon téléphone portable. J’ai découvert un réseau social d’écriture, et c’est devenu mon passe-temps, même si je ne le partage pas forcément ce que j’écris.

Lorena, tu ouvres ta nouvelle « Prémonition » par un remerciement pour le Cameroun, le pays où tu as grandi et vis toujours. Lisa, ton livre Shabbat noir transcrit ton rapport à Israël, où tu as vécu plusieurs années. Pensez-vous que votre écriture s’imprègne du territoire et de la culture dans lesquels on se construit ?

Shabbat noir de Liza Kazan aux éditions des Équateurs

Lisa : Oui, ça influence forcément. Déjà, notre écriture est liée à la littérature que l’on lit. J’ai beaucoup lu des auteurs et autrices comme Eshkol Neva, ou l’ouvrage d’Alona Kimhi, Suzanne la pleureuse. Comme je suis franco-israélienne, j’ai aussi lu des écrivains français comme Romain Gary. Notre culture, c’est aussi notre manière de voir les choses. Par exemple, pour mon roman Shabbat noir, on m’a souvent dit qu’un humour juif en ressortait. C’est l’idée d’essayer de rester optimiste malgré la douleur, malgré ce qui se passe dans le monde, et de raconter que l’on tente de continuer d’avoir notre jeune âge, d’aller danser, de flirter, de lutter. Ce côté « la vie malgré tout », je le tiens du fait que je sois juive et qu’Israël est un pays marqué par les deuils.

Lorena : Je pense mon rapport à ma culture comme une sorte de « Je t’aime, Je te déteste ». Quand on a vraiment envie que nos écrits soient accessibles à ceux qui vivent autour de nous, on se retrouve dans un dilemme. C’est souvent difficile de trouver un juste milieu : rendre hommage au pays dans lequel on vit et en même temps aborder des thématiques universelles qui vont toucher tout le monde. Je sais que des gens autour de moi vont me dire que j’écris comme une blanche. C’est un dilemme que je pense propre à la plupart des auteurs africains. Ne pas savoir où est-ce qu’on va se situer, et si on écrit suffisamment pour sa communauté, mais aussi pour ceux qui ne sont pas de chez soi.

Lorena, aurais-tu des recommandations littéraires à nous faire ? 

Lorena : J’aime des écrivains comme Léonora Miano, dont les œuvres se passent la plupart du temps au Cameroun, Djaïli Amadou Amal, des auteurs étrangers comme Chimamanda Ngozi Adichie, qui est nigériane et que j’admire beaucoup, et aussi des classiques comme Agatha Christie, Stephen King, Sigmund Freud pour son travail sur les rêves et l’onirisme.

Le Prix du Jeune écrivain a été pour vous deux l’occasion d’une première publication ?

Lorena : Oui, j’avais déjà partagé des écrits sous forme de publication numérique gratuite et accessible, mais cette fois, c’est en format papier et avec un contrat d’édition. J’envisage de me faire à nouveau publier de cette manière-là plus tard – je suis encore jeune et ai beaucoup à améliorer (sourire).

Lisa : Ça a été un passeport pour moi. Ce prix n’est pas très connu du grand public mais il est réputé auprès des maisons d’éditions. Il offre la possibilité d’être édité dans une maison reconnue, et permet de rencontrer d’autres personnes passionnées d’écriture. Lors de l’édition à laquelle j’ai participé, on a formé une sorte de groupe. On se réunit chaque année pour écrire ensemble. On se motive les uns les autres, on se relit et on se donne de bons avis. J’ai aussi rencontré Arthur Dreyfus qui m’a beaucoup encouragé. Le prix permet d’avoir des repères dans le monde de l’écriture qui est compliqué. On n’est plus tout seul et cela change tout.

Comment voyez-vous les années à venir ? 

Lorena : Lors du Prix du Jeune Écrivain, on nous répétait : « continuez d’écrire ! ». J’ai écrit quelques nouvelles sans savoir ce que je vais en faire pour l’instant. Une idée de roman me trotte dans la tête mais je ne trouve pas encore le temps d’essayer de donner vie à cette idée, mais je vais m’y mettre dans les prochains mois. Je suis en train d’achever ma première année de journalisme.

Toi aussi Lisa, tu as un rapport à l’écriture journalistique ?

Lisa : Oui ! Si on pouvait être journaliste et écrivaine à côté, le rêve (sourire) ! À l’avenir, je pense reprendre ma nouvelle « Autobiographie », dans laquelle un jeune homme raconte sa vie à travers les différentes personnes qu’il côtoie, pour la rallonger et en faire un roman. Ces temps-ci, j’ai eu besoin de me détacher de mon premier roman, de ma vie et de l’actualité, alors j’ai écrit un court roman jeunesse. 

Que pouvons-nous vous souhaiter ?

Lisa : Que l’on se recroise à un salon toutes deux en tant qu’écrivaine (sourire) !

Lorena : Oh oui (sourire) !

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